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Ma Tunisie Libre
1 novembre 2011

Sana Ben Achour, ex-présidente de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates

Sana Ben Achour, ex-présidente de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates

Sana Ben Achour, ex-présidente de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates

 

«J’enregistre avec satisfaction la volonté affichée des leaders du mouvement Ennahdha de respecter la diversité politique et culturelle»

 

Connue pour son indépendance et son militantisme pour la défense des droits de l’homme et surtout de la femme Mme Sana Ben Achour ex présidente de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates nous commente ici les résultats des élections de la Constituante.

 

Interview :

 Le Temps : Sana Ben Achour : on connaît votre combat pour les droits et la démocratie. Comment jugez-vous les résultats de ces élections ?

Sana Ben Achour : D’abord je voudrais revenir sur l’ambiance démocratique des élections pour dire qu’elles ont constitué pour moi un moment de communion à l’égal de l’émotion partagée le 14 janvier sur l’avenue Habib Bourguiba avec des milliers de concitoyens. Deux moments qui resteront à jamais gravés dans ma mémoire. Les dépassements et les irrégularités constatés ici et là, si elles sont à prendre sérieusement en compte au plan contentieux et surtout à consigner pour l’histoire et la mémoire collective, n’entachent pas la sincérité des élections. Je les accepte comme l’expression de la volonté populaire, démocratiquement exprimée et de laquelle nous avons été spoliés durant de si longues années. Concernant les résultats des élections, honnêtement, la victoire du mouvement Ennahdha n’est pas une surprise. Je m’y attendais… mais pas dans les scores réalisés à ce jour (41,43% des sièges) et les écarts de voix constatés – à relativiser certainement- entre les premiers, les seconds et la catégorie « des autres ». Je ne reviendrai pas sur la liste al-Âridha dont je ne m’explique pas les scores. La mauvaise surprise pour moi est la défaite électorale d’une large frange de la gauche laïque et progressiste qui, malgré son parcours militant contre la dictature et son implantation sociale, a été sanctionnée pour diverses raisons internes et externes qu’il il faut analyser en profondeur. Je regrette infiniment le faible score du Qotb que j’attribue à des limites intrinsèques mais aussi à la dispersion des forces progressistes et par suite à l’émiettement des voix. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, beaucoup peuvent en témoigner. Je crois réellement que nous avons raté l’occasion historique de nous constituer en une large coalition qui aurait donné à toutes les forces du progrès, partis et indépendants confondus, un poids électoral. Je suis heureuse pour le CPR, le Attakatol et le PDP en qui je place l’espoir de continuer à défendre les valeurs universelles de droits humains, de liberté et d’égalité pour lesquelles ils se sont battus sous les années de plomb et qui nous ont rassemblés. J’enregistre avec satisfaction la volonté affichée des leaders du mouvement Ennahdha de respecter la diversité politique et culturelle. En femme engagée sur le terrain associatif et politique, je les prendrai au mot et n’ai l’intention ni de renoncer à mes idéaux de dignité et de non discrimination, ni non plus d’être inéquitable vis-à-vis d’eux en leur faisant en permanence un procès d’intention.

 Justement pensez-vous en féministe qu’il y a menace sur les acquis et les droits de la femme ?

 Concernant les droits et les libertés des femmes il va sans dire que pour moi le combat continu… avec la même vigilance. Je voudrais dénoncer le faux discours- délibérément entretenu - sur « l’alliance » entre le régime déchu et le mouvement féministe autonome. Vous savez que notre mouvement s’est constitué à la fin des années 70 en opposition à la tutelle exercée sur la question des droits des femmes – d’où le NOUS PAR NOUS- MEMES- et s’est poursuivi contre la dictature de Ben Ali par la lutte permanente contre l’instrumentalisation des femmes et pour la revendication concomitante des libertés publiques et de la démocratie (d’où la dénomination femmes démocrates). Les femmes démocrates à qui l’on a fait subir individuellement et collectivement vexations, répressions et malversations ne sont pas les femmes du système. Je me réjouis des déclarations « rassurantes » des leaders d’Ennahdha relatives à l’Etat civique « Dawla madaniya », aux acquis du CSP et à l’amélioration des droits. Je voudrais toutefois qu’ils m’expliquent dès à présent - pour lever tout quiproquo- ce qu’ils entendent par « Dawla madaniya » à référence religieuse. En réalité, sans vouloir tomber dans les « a priori », je me pose des questions. Leur conception de la citoyenneté et des droits n’est pas claire. Pour eux, il y a réellement ou prétendument, expressément ou implicitement- mais c’est une autre question- une conditionnalité préalable qui est celle de la conformité ou de la compatibilité de ces droits et libertés au référent religieux dont ils se posent les interprètent. C’est cela qui jette l’anathème du sacrilège sur l’approche séculière ou laïque des droits. Pour moi, ces droits et ces libertés – qu’on appelle les droits humains et les libertés fondamentales- sont absolus, indivisibles, illimités et sans réserves. C’est pourquoi, le discours de la Nahdha sur les droits et les libertés est toujours ambivalent car tout en les reconnaissant, elle les situe dans un champ balisé que le mouvement ne peut franchir sans contredire ses propres présupposés et apparaître aux yeux de ses sympathisants comme déviant. D’ailleurs on le voit bien il y a sur la question des droits des femmes une cacophonie qui rend leurs positions peu compréhensibles et peu audibles. Les uns affirmant des choses auxquelles d’autres se chargent d’apporter tempérament ou contradiction. De quoi cela témoigne-t-il ? Une distribution des rôles, une cassure entre les leaders et leur base, une guerre larvée des chefs ou un conflit d’interprétation entre une vision traditionnaliste et une vision séculière du référent religieux ?

Vous parlez de menaces, oui bien sur si au nom du référent religieux on en vient à réduire, limiter, porter atteinte aux droits et à l’exercice de tous leurs droits humains et de toutes leurs libertés fondamentales par les femmes. C’est d’ailleurs au nom de ce référent que l’ancien régime- qu’on fait faussement passer pour le champion des droits des femmes- a émis des réserves à la CEDAW, tardé à changer les lois sur la nationalité, refusé le partage égalitaire des biens, renoncé à régler la question du domicile conjugal, des rapports entre époux, de la violence, etc. Au fond, la question est plus complexe et je sais que cette attitude relève plus en vérité des rapports de domination patriarcale que de la foi religieuse.

 Sana Ben Achour, que pensez-vous donc de la parité ? Etes-vous déçue des résultats. Qu’avez-vous à dire aux élues ?

 La parité est une grande avancée démocratique, digne de notre révolution pour la dignité. J’espère qu’elle sera constitutionnalisée non pas au niveau de la seule candidature aux postes de responsabilité et de prise de décision mais aussi au niveau de la représentation au sein des structures de délibération. Je félicite de tout mon cœur toutes les candidates élues et apporte ma solidarité aux moins chanceuses. Hormis le Qotb qui a respecté la règle du nouveau jeu démocratique, je suis déçue par l’attitude de la plupart des formations politiques de gauche comme de droite, partisanes ou indépendantes, qui n’ont pas été jusqu’au bout de la logique paritaire au niveau des têtes de listes. Les résistances patriarcales ont la peau dure ! Il n’y a qu’à voir ce qui ce dit autour de « l’introuvable candidate » ou de « l’indifférence des femmes au politique » ou du « nécessaire mérite que doivent montrer les femmes », etc. Ce que je veux leur dire est que je connais le vécu que les femmes ont en partage (leur assignation à des rôles prescrits, le travail informel, l’apport invisible, la contribution non reconnue aux charges familiales, la citoyenneté discriminatoire) pour apprécier ce que veut dire « solidarité féminine ».

Interview réalisée par Néjib SASSI

 

logo_letempsphttp://www.letemps.com.tn/article-60287.html

 

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