Dans sa première conférence de presse après les élections - Mustapha Ben Jâafar, secrétaire général «Ettakatol ne vendra pas son âme…»
• Ennahdha et les autres devant un examen sérieux
• Nous n’avons pas d’ennemis, mais des adversaires
• Un Gouvernement d’intérêt national est nécessaire
• Béji Caïd Essebsi, un talentueux patriote
Les conférences de presse des différents partis politiques opérant sur la scène se sont poursuivies au lendemain des élections dela Constituantedu 23 octobre dernier. Ettakatol a fait durer le silence et le suspense n’a fait que planer jusqu’à hier. Il était occupé ces derniers jours par les tractations et les discussions bilatérales pour tâter le pouls et se fixer sur ce qui doit se passer après ces élections réussies.
Fera-t-il des alliances avec Ennahdha et le Congrès Pourla République(CPR) ? Restera –t-il dans l’opposition comme le Parti Démocrate Progressiste (PDP), le Pôle Démocratique Progressiste (PDM), Al Qotb et d’autres ? Qu’en est-il de sa proposition de former un Gouvernement d’intérêt national, formulée bien avant les élections ?
La nouvelle situation dans le pays s’accommodera-t-elle du modèle classique des Démocraties bien en place, une majorité qui gouverne et une minorité qui attend son tour (alternance).
A ces questions et à d’autres, Mustapha Ben Jâafar, secrétaire général du Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL) ou Ettakatol a essayé, hier de fournir des réponses convaincantes.
Après avoir exprimé ses condoléances aux familles des victimes des dernières inondations, tout en espérant que ce genre de tragédie ne se reproduise plus, il manifesta sa fierté de ce qui s’est passé le 23 octobre. C’est une victoire pour le peuple qui a faitla Révolutiondela Dignité.« De nouveaux horizons sont ouverts pour la nouvelle Tunisie avec ces premières élections démocratiques, transparentes dans l’ensemble, où les normes internationales ont été respectées » dira-t-il. Ces élections n’auraient pu réussir sans les sacrifices et les luttes qui ont duré des dizaines d’années. Le rendez-vous du 23 octobre a pu être une fête dela Démocratie, grâce aux efforts conjugués dela Haute Instancede Protection dela Révolution, présidée par le patriote Yadh Ben Achour, l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE), présidée par le militant Kamel Jendoubi, le Gouvernement provisoire dirigé par le patriote et talentueux Béji Caïd Essebsi, l’Armée nationale et les agents de la sécurité nationale et l’administration tunisienne et ses cadres. Après la crise de confiance entre l’Etat et le peuple, l’administration a continué à travailler dans des conditions difficiles. Des poches de résistance veulent un retour en arrière et tentent de freiner le processus. Elles ne réussiront pas.
Maintenant que les élections ont eu lieu et les résultats connus, Ettakatol entre dans la nouvelle étape en agissant conformément à certains principes bien connus.
Aucune peur ni de personnes, ni de tendances qui chercheraient à dominer la scène, le peuple tunisien, n’acceptant aucune dictature. Mieux, rappelle Mustapha Ben Jâafar « nous n’avons pas d’ennemis, nous avons des adversaires », en ajoutant que la réconciliation est nécessaire, lorsque chacun aura rendu des comptes. Une justice transitionnelle est nécessaire. Lors de la nouvelle étape, il est nécessaire de réparer l’injustice sociale, de prendre en charge les nécessiteux, les pauvres, les chômeurs, et les régions marginalisées. Tels sont les objectifs tracés.
«Aujourd’hui, Ettakatol est devenu une force importante et incontournable dans le paysage politique, grâce à sa crédibilité, sa modération, son caractère centriste, son attachement à l’identité arabo-musulmane avec ouverture sur les valeurs universelles. Il est devenu un parti capable d’être une locomotive pour les forces progressistes, centristes et de gauche », affirme le secrétaire général du FDTL.
Après les élections,la Tunisiequi est dans un carrefour, est au dessus de tous, affirme Ben Jâafar.
Il affirme que le pays vit une époque fondatrice et exceptionnelle dans laquelle on ne peut appliquer les normes habituelles des démocraties bien en place Majorité/Minorité où la majorité dirige et la minorité attend son tour. Ainsi, toutes les énergies sont nécessaires, sans exclusion. Toutes les sources de conflit devraient être évitées. Une année ce n’est pas très long, surtout après une année où la croissance était proche de zéro, le chômage en hausse et l’investissement en situation d’attente.
En dépit de cette situation délicate Ettakatol ne compte pas vendre son âme, sacrifier ses principes et ses objectifs. Les acquis concernant les libertés, fondamentales, les droits sociaux, le Code de Statut Personnel (CSP), l’égalité totale hommes femmes doivent être sauvegardée. Pour améliorer la situation sociale, la sécurité et la stabilité doivent être de retour pour que l’économie reprenne son cours normal et la relance son rythme espéré.
Pour toutes ces considérations un Gouvernement d’Intérêt nationale est nécessaire, rappelle Ben Jâafar.
Pour la première fois, les urnes ont défini le paysage politique du pays. « Ceux qui nous accordé leur confiance, attendent de nous que nous fassions les changements nécessaires et non des commentaires. Ceux qui nous ont élu, veulent que nous participions à la direction du pays. Il vaut mieux être à l’intérieur du nouveau système », dira –t-il. Des contacts ont été entrepris avec les forces politiques pour concrétiser ce choix.
A une semaine de la réunion dela Constituante, Ben Jâafar a lancé un appel à tous les partis et toutes les forces politiques, aux composantes de la société civile et aux personnalités nationales qui avaient choisi le camp dela Révolutiond’aider à la réalisation de la proposition de Gouvernement d’intérêt national, afin de faire le virage avec le moins de dégâts possibles.
Il est demandé aux acteurs politiques de concrétiser le changement. Les technocrates sont utiles, mais l’aspect politique doit dominer dans le prochain gouvernement. Des technocrates militants existent bel et bien.
«En entrant au Gouvernement, nous aurons plus de possibilités de concrétiser le changement et contrôler les pratiques de toutes les parties. On y jouera le rôle de veille, pour sauvegarder les acquis, dans cette étape très délicate, en attendant le prochain rendez-vous électoral », dira Ben Jâafar.
Le secrétaire général d’Ettakatol fait la distinction entre deux espaces,la Constituanteet le Gouvernement, deux espaces à séparer.
Dansla Constituante, les débats, à transmettre directement à la télévision, se feront point par point. Là Ettakatol défendra ses principes et valeurs qui ne sont pas forcément en accord ou antinomiques avec des partis avec lesquels on peut gouverner.
Pour rassurer les investisseurs, l’opinion publique nationale et internationale un gouvernement d’intérêt nationale est nécessaire.
Pour les tractations entreprises, Ben Jâafar, dira que « rien n’a été décidé. Des débats sont engagés et se poursuivront. Chaque parti a son agenda. Nous discutons d’égal à égal avec tout le monde, quel que soit leur poids électoral. Nous cherchons les formules qui permettent àla Tunisiede sortir de cette étape en paix, car la force d’Ettakatol, sa crédibilité et ses acquis ne se comptabilisent pas en nombre de sièges àla Constituante. Toutesles forces ont besoin, l’une de l’autre dans la même proportion. Le peuple tunisien met toutes les forces politiques devant un examen. Nous devons prouver qu’Islam et Démocratie ne sont pas antinomiques ». L’examen tout en étant pour tous, il l’est plus particulièrement pour Ennahdha qui doit faire preuve de cohérence entre paroles et actes. Ce parti ne doit pas oublier que 60% des électeurs n’ont pas voté pour lui et presque la moitié des électeurs potentiels ne se sont pas déplacé le 23 octobre. Ettakatol qui avait refusé toute diabolisation, d’Ennahdha, n’hésitera pas à quitter le gouvernement si son discours modéré, ne se concrétise pas sur le terrain. « Lorsqu’on voit qu’il n’ y a pas de garantie, rien ne nous empêche d’être dehors pour servir l’intérêt national », dira-t-il. Faire les yeux doux aux extrémistes pour des raisons électoralistes ne peut être accepté par Ettakatol qui refuse tout parti qui se proclame de la religion musulmane à l’instar de Hezb Ettahrir. La référence à la religion est commune à tous. Personne ne doit se l’approprier.
Ettakatol tient à l’option du Gouvernement d’intérêt national, même si cela pourrait lui faire perdre des voix en 2013. « Nous aurons au moins assumé nos responsabilités », ajouta Ben Jâafar.
Attendons l’aboutissement des négociations.
Hassine BOUAZRA (Le Temps, 02 Novembre 2011)
http://www.letemps.com.tn/article-60329.html